Ma Luce de mon cœur,
J’ai eu, ces derniers jours, moins de temps que d’habitude, hélas, pour t’écrire. Mais comme aujourd’hui c’est dimanche, je t’écris de nouveau, quelques heures à peine après
cet aimable babillage, pour te confier quelque chose de beaucoup plus sérieux. C’est que j’ai un aveu à te faire, Luce. L’aveu d’une question qui me taraude depuis quelques semaines, et il devient urgent que je t’en parle, car bientôt, il sera trop tard.
Dois-tu, ou pas, gagner la Nouvelle Star ? Plus qu’une question, c’est un dilemme. Un dilemme cruel, un dilemme cornélien, un dilemme terrible ! Ce que tu penses de cette question, de ton côté, je ne saurais le dire. Toi qui es arrivée dans ce jeu par défi, toi qui t’es retrouvée propulsée à Baltard presque malgré toi, toi qui ne t’es jamais vue remporter ce trophée tant convoité par d’autres mais pas par toi, toi qui es si sensible, si fragile, toi qui pleures après le départ de chacun de tes camarades, toi qui as tant de mal à accepter ton talent, toi qui sembles si attachée à la profession à laquelle tu te destines – infirmière –, eh bien je présume que ton arrivée en finale, et la possibilité de la remporter, doivent te travailler pas mal – c'est sûrement un euphémisme !
Luce, toujours si simple, si naturelle, si modeste !
Cela dit, de mon côté, et un peu égoïstement, je le concède, j’ai ma propre idée sur la question. Ou, plutôt, plusieurs idées, qui se contredisent et me tirent dans tous les sens. Les arguments ne manquent pas pour que tu gagnes
la Nouvelle Star. Ceux pour que tu la perdes, non plus.
Si tu remportes la finale et devient la nouvelle star 2010, Luce, ce sera, évidemment, un événement formidable, et tu bénéficieras d’une couverture médiatique durable, qui me permettra de continuer à te voir et à t’écouter, sans doute tout au long de l’été, au moins. J’envisage avec appréhension la fin de
la Nouvelle Star, car elle sonnera, pour moi, celle de mes mercredis soir enchantés. Si tu gagnes, je pourrai te retrouver sur mon écran de télévision pour encore longtemps.
Par ailleurs, une fois que tu auras enregistré ton album, et que tu auras décroché trois disques d’or, tu auras plein de sous ! Je ne suis pas, bien entendu, intéressé par l’argent. Mais si tu deviens riche, et lorsque tu décideras, enfin, de m’épouser, nous pourrons, pour notre mariage, louer
cette si belle salle que j’ai repérée. Bien que je gagne à peu près correctement ma vie, mes seules finances ne suffiraient pas, hélas, pour couvrir de tels frais. L’argent ne fait pas le bonheur, mais il contribue à pouvoir s’offrir certains plaisirs !
Le fric, c'est quand même chic.
Enfin, après ta victoire, tu resteras encore longtemps, je présume, à Paris, où je réside moi-même. Cela nous sera plus facile pour nous rencontrer, lorsque tu estimeras le moment venu. Alors que si tu dois retourner à Montpellier dare-dare, ce sera plus problématique. Et puis les amours à distance, franchement, je ne suis pas fan. Je pourrais, me diras-tu, déménager moi-même et m’installer à Montpellier – qui est, d’ailleurs, une ville que je connais bien, où j’ai vécu un an. Mais mon métier actuel, Luce, correspond à un marché essentiellement parisien ! Je risque fort, une fois à Montpellier, de ne pas retrouver de travail, et donc de m’ennuyer ferme.
Mais, mais, mais. Mais si tu gagnes la Nouvelle Star, oh ma Luce, qui sait ce que l’avenir va te réserver ? Une vie de star, des concerts à n’en plus finir, des sollicitations de toutes parts… Tu risques, je le crains, de devenir moins accessible pour le commun des mortels que je suis, et que je tiens à rester. Et même si nous sommes ensemble… Moi qui suis si discret, attaché à ma vie paisible et sereine, pourrai-je accepter ou supporter l’inévitable intérêt que tous les vautours de la presse
people attacheront à tes amours, donc à moi ? Je ne suis pas fait pour les
paparazzi, ni pour les caméras, et je crains qu’il soit particulièrement difficile, dans ces conditions, de protéger notre vie privée.
Les photographes sont des vautours qui ne respectent rien.
Ensuite, cette vie de star, avec tous ses remous, ses excès, ne risque-t-elle pas de t’entraîner dans un tourbillon perturbateur ? Oh, je sais bien que tu es forte de caractère, mais quand on voit ce qui arrive, d’ordinaire, aux rock stars, nul ne saurait rien garantir. Jusqu’à présent, tu es restée merveilleuse de naturel. Mais avec le succès viennent souvent la perte de repères et tous ses corollaires : l’alcool, la drogue, le sexe débridé, le saccage des chambres du Ritz, les photos à poil en couverture de
Playboy, les planques à Copacabana – pour fuir les
paparazzi, mais en général ça marche pas –, etc. Te retrouverai-je telle que tu es ? Te donneras-tu à moi telle que tu es ?
Enfin, tu seras si peu disponible, et tu mèneras une vie si chaotique – entre les tournées internationales, les soirées de promo chez Ruquier ou Nagui, les cures de désintoxication en Suisse –, que nous aurons peut-être bien du mal à mener, toi et moi, une vie de couple épanouie. Aurons-nous du temps pour nous ? Pour sortir tous les deux, en amoureux ? Pour nous balader le long des quais de Seine, main dans la main ? Pour faire la fête ? Pour roucouler tranquillement sous la couette le dimanche matin ?
L’incertitude me nargue et l’angoisse m’étreint, Luce. Qu’en penses-tu ? Dois-tu gagner
la Nouvelle Star ? Ou pas ? Jour après jour, je me tords la cervelle avec cette question. Mais – va savoir pourquoi ? – une chose est sûre : je sais déjà pour qui je vais voter, mercredi prochain.
À toi, amoureusement.